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Pierre Nourry et le Quintette du Hot Club de France

Pierre Nourry et le Quintette du Hot Club de France

Le Quintette du Hot Club de France. Debout entre Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, Pierre Nourry, assis de gauche à droite: Roger Chaput, Louis Vola, Eugène Vées.
Le Quintette du Hot Club de France. Debout entre Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, Pierre Nourry, assis de gauche à droite: Roger Chaput, Louis Vola, Eugène Vées.Le Quintette du Hot Club de France. Debout entre Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, Pierre Nourry, assis de gauche à droite: Roger Chaput, Louis Vola, Eugène Vées.

Le Quintette du Hot Club de France. Debout entre Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, Pierre Nourry, assis de gauche à droite: Roger Chaput, Louis Vola, Eugène Vées.

Texte de Claude Evin

Imprimé le 17 Septembre 1993 à 7 :10 par Anne Nourry

 

La naissance du Quintette à cordes

Le destin de Charles Sander et de Pierre Nourry passe une première fois par le Manoir d’Ango à Varengeville à l’occasion du mariage de Solange Hugot-Gratry. Il doit se sceller quelques années plus tard lors du mariage de sa fille ainée Thérèse et Pierre Nourry.

A cette occasion, il est nécessaire de rappeler une page de l’histoire du Jazz français, que les historiens ont un peu tendance à oublier. Pour cela, il suffit de se référer au livre de Charles Delaunay, grand ami de toujours de Pierre, consacré à Django Reinhardt dont certains extraits furent lus lors des funérailles de Pierre Nourry à Saint-Aubin-sur-Mer, en octobre 1991.

En 1934, se produisit l’élément capital de la vie de Django Reinhardt.

C’est ici qu’intervient pour la première fois le nom du Hot Club de France. Cette association, formée depuis quelques années seulement par des amateurs de jazz pour aider au développement de cette musique, organisait régulièrement des concerts où se produisaient les meilleurs artistes internationaux. Dès 1933, Django et son frère avaient participé à quelques-unes de ces pittoresques réunions où ils avaient étonné l’auditoire. On se rappelle même un concert qui eut lieu un dimanche matin. Trois trompettistes célèbres étaient prévus au programme. Mais à l’heure du concert, aucun musicien n’était encore là. Nourry, le secrétaire général du Hot Club, sautant dans sa 5CV Citroën, partit à la recherche d’autres vedettes et revint avec les deux frères Reinhardt et quelques autres artistes qui n’avaient pas été prévus pour cette manifestation.

L’idée d’une formation dont Django eût été l’âme était déjà dans l’air. Pierre Nourry avait rencontré à ce sujet, Emile Savitry et André Ekyan et s’en était entretenu avec Django qui rêvait de jouer avec un ensemble à cordes. Nourry, d’autres part, songeait à lancer un orchestre qui, appelé à représenter les couleurs de Hot Club de France, fut formé seulement de musiciens français.

Django jouait alors avec Louis Vola au Claridge dans un ensemble composé de trois violons, d’un saxophone et de rythmes. Pendant les intermèdes réservés aux tangos, les musiciens se retrouvaient dans leur loge pour jouer. Là, Django aimait réunir Vola, Grappelly et Roger Chaput qui se trouvaient tous dans l’orchestre du Claridge et il faisait parfois venir son frère. Ensemble, il se retrouvaient encore après le travail à « l’Alsace à Montmartre », où les musiciens, jusqu’au petit jour, venaient les écouter jouer.

Ces réunions se déroulaient pour le simple plaisir musical. Jamais aucun programme n’était établi. On jouait tour à tour des classiques du jazz ou des compositions de Django, sans la moindre idée que l’orchestre existerait un jour pour de bon.

C’est sur ces entrefaites qu’apparût le bouillonnant Pierre Nourry qui songea aussitôt à fixer par le disque ces interprétations. Les musiciens ne croyaient cependant pas au succès de leur ensemble, et l’expérience faillit leur donner raison. Aucune compagnie de disque ne s’intéressait à cette musique !

Une audition fut cependant accordée par « Odéon », qui accepta d’enregistrer quelques faces d’essai. Sans grande confiance. Les musiciens se réunirent un après-midi au Florence pour répéter sérieusement. Puis, au jour dit, les musiciens s’engouffrèrent dans un taxi pour la rue Albert. On ne savait pas encore très bien ce qu’on allait enregistrer et, comme dans la poche de Chaput on découvrit la musique de l’un des plus récents succès d’outre-Atlantique, sans perdre de temps, pendant le court trajet, on reprit la répétition. On vit même venir un chanteur noir, Marshall, Django pensait que cela ferait commercial.

Et c’est l’arrivée au studio. Disposés près du micro, les musiciens se mettent à jouer au grand affolement des ingénieurs du son qui demandent discrètement :

- Mais qu’est-ce que cette musique que vous jouez ?

Django, ayant entendu cette réflexion, décide de quitter le studio sur le champ. Pierre Nourry a le plus grand mal à le retenir jusqu’à ce que les deux tests aient été enregistrés : ces deux plaques de cire desquelles le sort du quintette semble devoir dépendre.

On entendit impatiemment les épreuves. Lorsqu’elles parvinrent les musiciens furent enchantés. Ils s’entendaient pour la première fois. Hela ! la réponse des dirigeants arriva, glaciale :

- Le conseil d’administration s’étant réuni, a jugé que les disques de votre orchestre sont d’une musique vraiment trop moderne !

La déconvenue des musiciens fut cruelle. Mais cet incident n’était pas pour décourager l’actif Pierre Nourry qui avait déjà fixé le premier concert de Quintette à l’Ecole Normale le 2 décembre. Comme on le constate en revoyant la publicité de cette manifestation Django s’écrivait encore Djungo et l’ensemble à cordes n’était pas encore baptisé « quintette du Hot Club de France ». C’est pour le concert suivant qu’il prit cette dénomination. Leur première apparition eu un tel succès qu’une seconde séance fut organisée aussitôt.

D’autre part, la petite firme phonographique « Ultraphone » semblait prête à tenter l’enregistrement du quintette. Après quelques délicates négociations, le Quintette enregistrait en décembre ses deux premiers disques. Par un matin brumeux les musiciens pénétraient dans l’immense hangar de l’avenue du Maine qui serait de studio. Encombré de bancs et d’accessoires, l’endroit ressemblait davantage aux coulisses d’un music-hall de province désaffecté qu’à un studio d’enregistrement. Nos cinq musiciens semblaient perdus dans l’immensité de la salle. Pourtant, la confiance revenue, la séance se déroula sans incidents, sauf lors de l’enregistrement de « Dinah » qui se termina par un malencontreux coup d’archet de Stéphane. Les ingénieurs voulaient refaire le disque, mais tous ceux qui étaient présents s’y refusèrent, jugeant qu’il était impossible de le mieux réussir.

Une fois payés, les musiciens, les instruments sous le bras, trainèrent longuement dans les rues de la rive gauche. Ils savouraient avec satisfaction cette détente, après un évènement dont ils réalisaient peut-être l’importance.

Django, lui, semblait préoccupé par un autre évènement qui se préparait et s’arrêtait longuement aux vitrines des chapeliers. Arrivé Boulevard Saint-Germain, il disparut sana prévenir et tandis qu’on le cherchait partout, il réapparut soudain arborant un magnifique chapeau mou blanc de neige qui contrastait atrocement avec son visage sombre, à la barbe non faite, son col ouvert sans cravate et son costume sans forme.

Il venait de réaliser un rêve ancien, en achetant un véritable « Stetson », made in USA, qui avait englouti intégralement le cachet touché quelques minutes plus tôt ! Il est vrai qu’on ne faisait pas fortune en faisant des disques.

Société Ultraphone

46, rue de la Bienfaisance

Paris VIII

                                                    Paris, le 26 décembre 1934

                                                    Monsieur Pierre Nourry

                                                    15, rue du Conservatoire

                                                    Paris IX

Cher Monsieur

 

Je ne vous cache pas que je suis un peu ahuri par les prétentions astronomique des musiciens de votre quintette.

Vous ignorez peut-être que le tarif normal payé actuellement pour le soliste de jazz de tout ordre ne dépasse pas 150 francs par séances de trois heures qui comporte en général l’enregistrement de six faces.

Sur ces bases-là, les prétentions des trois musiciens secondaires sont déjà loin des tarifs habituels. Je ne parle pas de Grappelly.

Les conditions maxima que je puis envisager sont les suivantes :

  1. Pour les trois musiciens d’accompagnement (deux guitares et une contre-brasse) cachet forfaitaire de 30 francs par face.
  2. Pour Grappelly, cachet forfaitaire de 50 francs par face.
  3. Pour Reinhardt, royaltie de 5% et 50 francs par face enregistrée.

Etant donné la valeur commerciale hypothétique des enregistrements envisagés, vous comprendrez, que je ne puis engager ma société dans des frais d’enregistrement qui laissent le prix de revient déficitaire après un tirage de 500 disques.

Je compte sur vous pour amener vos artistes à une vision plus près de la réalité des prétentions qu’ils peuvent avoir et je vous prie d’agréer, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Société Ultraphone française

Signé Caldairou

Quelle magnifique revanche, notait Charles Delaunay, le quintette devait apporter par la suite à ce document aujourd’hui ridicule !